top of page
  • Photo du rédacteurReporters Audacieux 18-19

« L’Entité du double » : brouiller les limites

Par Léa Villalba. Reporters Audacieux 2018-19. Le 9 octobre 2018.

Séverine (1er plan) et Élodie (2e plan)_L'ENTITÉ DU DOUBLE © David Wong

Un spectacle sur la gémellité … en tant que fille unique … je n’arrivais pas vraiment à visualiser ce qu’il allait se passer. Et malgré mon entrevue avec la dramaturge de la pièce, je ne savais pas à quoi m’attendre. Enfin, pour pimenter le tout, je me suis laissée la surprise jusqu’au bout, ne parcourant même pas le programme. Et quelle surprise … !


Entre intimité et malaises


Avant le début de la pièce, le public est invité à écrire une question pour les deux jumelles. Une fois dans la salle, elles sont devant nous et y répondent, assises, détendues avec un air impassible, sérieuses et très sincères. En toute simplicité, elles nous font sourire et nous embarquent dans un univers, finalement peu connu.


Tour à tour, les tableaux s’enchainent, entre absurdité et réalité. Les sœurs se transforment, dévoilent des états perturbants puis reviennent à nous, comme si de rien n’était. Elles passent de l’état de monstre à celui d’humaine. Du visage d’amour à celui de haine. Étrange et perturbant.


Il est maintenant temps de se détendre. Elles nous incitent à faire ce qu’on a envie de faire, câliner notre voisin, regarder notre cell… bref, être à l’aise. Elles se dévoilent et jouent avec les gens, leur demandent des caresses, des bisous et de l’attention, chacune de leur bord. Un moment suspendu dans la séduction qui laisse perplexe et joue encore avec le malaise.

Pouvoir devenir quelqu’un d’autre. Se détacher de l’autre. Utiliser le public pour se transformer ou encore tout plein d’accessoires loufoques pour se cacher et ne plus voir son reflet dans le visage de sa jumelle. Un beau jeu avec le public qui brouille les frontières entre scène et réalité et un questionnement pertinent sur la place de l’autre dans une vie toujours vécue en double.


Vivre à travers l’autre


Tout au long de la pièce, les interprètes ressentent et dévoilent les difficultés émotionnelles et personnelles d’une telle relation intime dans des états de corps dérangeants et symboliques.

Au fur et à mesure, on apprend à connaitre les sœurs. On écoute leurs histoires et leurs anecdotes, entrecoupées par des plongées corporelles détraquées et abruptes. En face à face, les jumelles se livrent leur reproche et jouent comme quand elles étaient enfants, mais avec un certain embarrât, un sérieux déplacé et une maladresse assumée.


« Le nous arrive avant le je », « asphyxie », « angoisse » ... les mots se répètent et transforment l’espace scénique où les deux femmes sympathiques deviennent deux créatures rampantes aux gestes saccadés et aux cheveux dégoulinants sur leurs visages.

La musique soutient la pièce du début à la fin, avec Guido, complice des deux interprètes. Les sonorités électroniques perturbantes s’accordent avec les corps des interprètes qui se transforment et se déforment sous nos yeux.


Un autre tableau enchaine. Les deux sœurs tombent au sol et débitent des paroles crues et très rythmées sur la condition d’être « la deuxième ». Moment sensible et efficace qui fait réfléchir. Et non, ce n’est pas que du bonheur d’avoir un frère ou une sœur.


On ne sait plus comment se sentir. Vont-elles encore nous interpeler avec humour ou au contraire, nous embarrasser devant une réalité crue et parfois même un peu violente ?


Une belle réussite scénographique où le découpage de la lumière et le très bon rôle de contrepoint de Guido ont permis d’essayer de s’échapper, de trouver une porte de sortie à ce malaise redondant, mais sans y parvenir. On reste accroché aux sœurs, touchantes, dans un flou entre les limites de la scène, du public, du rire, du malaise, de la vie et de la fiction.



 

À propos de l'auteur : Léa Villalba

De sang espagnol et originaire du sud des Landes, c’est à l’été 2015 que Léa arrive à Montréal, ville captivante par son dynamisme et sa richesse culturelle. Diplômée en France dans plusieurs domaines dont la Science Politique, la Sociologie et les Arts du spectacle et danseuse depuis la plus tendre enfance, c’est à l’automne 2016 qu’elle intègre la Maitrise en Danse à l’UQAM au sein de laquelle elle entame une recherche sur la danse hip-hop à Montréal. Passionnée d’écriture depuis toujours, elle collabore depuis l'hiver 2017 à divers magazines web (Artichaut, l'Outarde Libérée, La Bible Urbaine, Sors-tu.ca, Les Méconnus) afin d’apporter davantage de visibilité à la danse et d’aiguiser son œil critique.

59 vues0 commentaire
bottom of page