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Photo du rédacteurReporters Audacieux 18-19

Entrevue avec les Soeurs Schmutt : une cocréation crue

Par Ève Constantin. Reporter Audacieux 2018-19, le 18 octobre 2018.

Élodie et Séverine Lombardo © David Wong

Nées au pluriel, Élodie et Séverine [Les Sœurs Schmutt] partagent leur passion pour la danse contemporaine. L’Entité du double, une pièce basée sur le questionnement de leur double identité, mijote dans leurs esprits depuis 2013. C’est en octobre 2019 que les jumelles joindront intimité et fiction, sur scène, en collaboration avec Danse-Cité. Jamais elles n’avaient cocréé auparavant une pièce où elles sont toutes deux interprètes. C’est donc un tournant déterminant dans leur carrière. D’ailleurs, de faire la rencontre de "bêtes de scène" a également été un épisode plus qu’inspirant dans mon cheminement en tant qu’étudiante en danse. En voici un extrait :

Question : À partir de quel moment aviez-vous une idée claire de ce qu'il allait se passer sur scène pour L’Entité du double ?

Les Sœurs Schmutt : Il y a toujours de la recherche, même sur scène. Au mois de juin, on avait déjà une idée de la structure de la pièce et en début septembre on commençait à réfléchir sur l’esthétique du spectacle. De plus, c’est la première fois qu’on ne voit pas ce qu’on fait, car on n’aime pas utiliser une caméra. On ne veut pas que le jugement de l’interprète rentre à l’intérieur de notre processus. On a laissé ça dans les mains de Sophie Corriveau qui savait ce qu’on voulait, car elle a collaboré à la création, ainsi qu’à la dramaturgie de la pièce. On n’est pas dans une recherche de mouvement, mais plus de pensée et de sens sur scène. La prise de parole a donc beaucoup d’importance, ainsi que le dévoilement, le dénouement et la confiance. On voulait partager notre intimité tout en continuant d'interroger l’artifice qu’est la scène. Comment être sincères tout en se renouvelant et en sortant de nos zones de confort ?

Q. : Par sortir de vos zones de confort, voulez-vous dire que vous incluez de l’improvisation structurée sur scène ?

Les Sœurs : Non, tout est écrit. Seulement, les prises de paroles sont complètement improvisées pour qu’elles demeurent vivantes et authentiques. Chaque spectacle est différent, chaque spectateur est différent, surtout qu’on leur propose de répondre à une série de questions anonymes qu’ils auront rédigées. Sur scène, on continue à se surprendre et à prendre des risques. On installe une fébrilité, un qui-vive. Pareil pour les chemins dans le corps, c’est dans le moment présent que les moteurs de mouvement s’installent. On n’est pas sur une écriture du corps arrêtée, on reste toujours ouvert en laissant place à l’imaginaire et la poésie. Ce sont des jeux de mouvements et de résolution de sens où l’on est vulnérable.

Q. : Comment se traduit le réel et la fiction dans votre pièce ? Est-ce qu’elle penche plus vers le réel ou vers la fiction ?

Les Sœurs : Les deux. La pièce est plus autobiographique, donc plus réelle. Cependant, il reste qu’on est sur scène, donc dans la fiction.


Q. : Qu’est-ce que vous voulez que le public retire de votre pièce ?

Les Sœurs: Si on pense au public, on n’est pas dans un processus de création. Ça ne veut pas dire qu’on ne pense pas à lui, on se pose la question : quel est mon rapport avec le public ? On veut que ça reste ouvert sur des questionnements existentiels, pas juste par rapport à nous. Juste même de prendre conscience que des jumeaux, c’est différent. En revanche, il en retirera ce qu’il veut.

Q. : Qu’est que vous avez envie que les gens sachent avant d’aller voir votre spectacle ?

Les Sœurs : Rien. N’ayez pas d’attentes. C’est un beau voyage, un beau partage, une invitation à leur intimité. C’est une expérience intéressante que d’être devant des interprètes qui sont dans de dénouement et de vulnérabilité.

Q. : Dans la vidéo promotionnelle, il y a des moments où vous prononcez les mêmes paroles de façon synchronisée, d’autres de façon singulière. Est-ce que c’est pour montrer que des jumeaux sont à la fois connectés et différents ?

Les Sœurs : Le texte dans la vidéo est un extrait d’un texte qu’on a écrit dans le processus de création, qui est un fort porteur de sens. C’est plus que toutes les deux nous portons ces paroles-là du texte. On le porte à deux voix, à une voix, c’est aussi notre façon de communiquer. Souvent on va dire des choses ensemble, souvent on a la même pensée que l’autre.

Q. : Donc c’était plus pour montrer la façon dont vous fonctionnez ?

Les Sœurs : L’aguiche ne montre en aucun cas les choix esthétiques de la pièce. Alors, on voulait simplement dire, avec le texte, ce qu’on avait envie de partager dans cette pièce-là.

Q. : Vous allez avoir un musicien sur scène, en l’occurrence Guido Del Fabbro. Pourquoi aviez-vous cette envie ?

Les Sœurs : C’est beaucoup plus dynamique à trois. On travaille avec lui depuis 2003, alors il nous connaît très bien artistiquement, personnellement et psychologiquement. Peu à peu, on voulait qu’il prenne plus de place dans notre création que de seulement faire la musique. On voulait qu’il fasse partie de la pièce en étant avec nous sur scène, qu’il soit comme une tierce personne. Déjà, on a toujours aimé s’entourer de plusieurs personnes sur scène (à deux, on ne peut plus se cacher derrière personne (rires)). Puis, dans notre façon d’être et de faire on a souvent été en trio dans notre vie. Le chiffre 3 revient souvent dans notre vie pour aller stimuler et alimenter le chiffre 2 pour aller au-delà au niveau créatif. Jamais 2 sans 3!


Q. : Sachant, que vous encouragez les collaborations à l’international, notamment avec la ville de Colima au Mexique pour Ganas de vivir, je me demandais si vous aviez une prochaine collaboration en tête.

R. : En ce moment, on termine deux créations presque en même temps, puis on a réalisé quatre productions cet été. Là, on est en fin de cycle de création. On va donc se reposer et se sédimenter dans le temps avant de replonger dans autre chose. On veut surtout faire tourner des reprises comme 5 minutes avec…, L’entité du double, L’intérieur brut, des projets de vidéos-danse avec des écoles secondaires, etc.


Q. : Par curiosité, qu’est qui vous a amenées à aller vers la danse contemporaine, les deux?

Les Sœurs : Si on ne faisait pas les choses en même temps quand nous étions petites, on était invitées à le faire quand l’une mordait à une activité. On avait envie de partager et de plonger l’autre dans cette passion, car on savait que ça allait être savoureux pour elle. Élodie s’est inscrite à des cours de danse contemporaine avant Séverine. Tu as aussi l’impression que tu vis pleinement la chose et tu vis une expérience complète, lorsque tu la partages. C’est aussi de cette façon que se construit notre pensée créative. Lorsqu’on partage, l’autre nous questionne, nous amène plus loin. C’est une évolution par le dialogue.


À la suite de cet échange, il me fut impossible de ne pas exclamer ma hâte. Elles me reprennent en disant : « Pas d’attentes ! » Je ne peux pas. Cet entretien était beaucoup trop hypnotisant pour m’empêcher d’avoir hâte de découvrir leur univers. Il sera d’ailleurs présenté du 4 au 13 octobre au Théâtre Prospero.


 

À propos de l'auteur : Eve Constantin

Amoureuse de l’expression artistique sous toutes ses formes, Ève Constantin a choisi de s’investir plus sérieusement dans la danse.  Elle cultive cette passion depuis l’âge de 7 ans, mais c’est en s’inscrivant au DEC en danse au Cégep Montmorency qu’elle entreprend sa démarche professionnelle. Aujourd’hui étudiante dans un B.F.A in contemporary dance à l’Université Concordia de Montréal, elle se nourrit de toutes les expériences reliées au mouvement corporel, là où s’exercent son œil artistique et sa créativité. Cette jeune femme audacieuse, aussi formée comme tutrice de la langue française,  complète également son parcours avec une formation qui lui permettra de lier l’art et la thérapie. Avide de connaissances, impatiente d’élargir ses horizons, Ève pourra assouvir sa faim grâce à cette opportunité qu’est Reporters Audacieux.

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