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5 'pourquoi' à Emile Pineault

Par Léa Villalba, Reporter Audacieux 2018-19, le 21 novembre 2018.



En ce matin gris de novembre, j’ai voulu retomber en enfance et faire ma curieuse en posant toujours des questions qui débutent par un grand « Pourquoiiii » (sans insister trop sur le « i » évidemment, car je n’ai malheureusement plus l’âge !). Et, ça tombe bien, car c’est ce matin-là que je rencontrais Emile Pineault. Circassien de formation, il s’est toujours intéressé à la danse et l’a toujours intégré à sa pratique. Après une tournée auprès des « 7 doigts de la main », il décide de se consacrer à sa propre création parce que c’est une envie qui lui trotte dans la tête depuis bien longtemps. Il crée alors son premier solo, Normal Desires, qui sera présenté au Théâtre La Chapelle à partir du jeudi 22 novembre. Rencontre avec un artiste pluridisciplinaire qui a bien voulu répondre à tous mes pourquoi…


- POURQUOI UN SOLO ?

Emile : À la base, je n’aurais jamais pensé faire un solo, c’est un peu arrivé par hasard, mais c’est un heureux hasard. C’est un solo, mais je n’avais pas envie que je devienne trop central dans le travail et que ça devienne trop sur moi et trop personnel. J’avais envie de me décentraliser et de me laisser surprendre par d’autres éléments extérieurs.

Maintenant, je collabore avec différentes personnes. Je me suis intéressé à travailler avec la lumière, le son et la scénographie en particulier. Donc ces personnes-là sont devenues très proches du processus et très importantes à un point où, maintenant, j’ai l’impression que, même si je suis tout seul sur scène, on est trois interprètes. C’est juste que les autres sont cachés (rires) !


- POURQUOI UN DISPOSITIF TRIPLE (son, lumière, corps) ?

E. : J’avais envie de requestionner ma pratique même de l’acrobatie ou plutôt j’avais envie de la voir sous un autre angle et la faire voir aussi aux spectateurs d’une autre manière. Je m’intéressais beaucoup aux sensations et à l’expérience de l’acrobatie. Qu’est-ce qui se passe à l’intérieur et pas seulement à l’extérieur dans la forme ? Quelles sensations ça provoque ? Quelle énergie interne est déployée pour faire une acrobatie ?

Je suis parti de ces états-là, de ces états de corps ou de ces affects comme matière de base. Après ça, ça m’a ouvert à plein de choses. Ça m’a permis de créer de nouvelles formes qui pour moi partaient de quelque chose d’acrobatique, mais qui paraissaient différentes.

J’ai fait une résidence avec mon conseiller dramaturgique sur le mouvement et après, tout de suite après, dans les premières résidences, on travaillait déjà sur de la lumière. Le son aussi est arrivé très rapidement ! C’est vraiment devenu un genre de discussions entre le corps et le dispositif ou un corps et son environnement matériel. Il est question de voir comment ils s’inter influencent.

On cherche à comprendre le monde de façon plus horizontale, plus comme un genre de réseau de choses interconnectées. On le montre de différentes façons à travers la pièce, mais il y a toujours ce rapport-là entre le corps et son environnement.





- POURQUOI NORMAL DESIRES ?

E. : Parce qu’il y avait ce désir de faire des liens entre la normativité et le désir. Ce qui est un peu paradoxal je trouve. En fait, j’essaye de décloisonner les désirs qu’il y a autour de l’acrobatie et du corps.

Aussi, quand je commençais le processus de création, j’étais à Berlin et j’ai vu ces mots écrits sur un mur, sous forme de tag. Ça m’a vraiment marqué parce que je trouvais que le contraste, l’ambiguïté de cette combinaison-là parlait aux idées que je commençais un peu à élaborer pour ce projet et mes réflexions. Je pensais que ça allait être le titre provisoire. Finalement, c’est resté. Après, je me suis rendu compte que c’était aussi le nom d’une œuvre d’un artiste que j’aime beaucoup, Bruce Nouman qui est un artiste visuel qui fait beaucoup d’œuvres avec des néons, des tubes fluo avec lesquels il écrit des phrases. Et il y a une de ses œuvres qui s’appelle Normal Desires, mais ça, je m’en suis rendu compte après ! C’est un artiste avec qui je connecte alors ça fait du sens.


- POURQUOI C'EST UN DÉFI POUR TOI DE JOUER 8 FOIS LA PIÈCE ?

E. : Physique premièrement parce que la pièce est assez intense. Pendant ma recherche, je me suis intéressé au rapport entre l’acrobatie et le masochisme comme s’il y avait quelque chose dans l’acrobatie où finalement tu pousses ton corps à des limites physiques assez intenses dans le but de défaire un peu les normes du corps. On se demande alors « C’est quoi un corps normal ? » Donc, il y a un aspect assez violent (rires) ! Puis, c’est quand même un solo d’une heure donc c’est assez physique.

Ça va être un défi, mais c’est génial ! Ça va avoir le temps de murir, de grandir, de se transformer. Dans la pièce, il y a beaucoup de moments chorégraphiques mais aussi une grande place pour l’improvisation, à la fois dans la musique, la lumière et dans mon propre corps.

L’autre défi est d’accepter que ça va être différent chaque soir. Il n’en faut pas vouloir le reproduire, il faut repartir à zéro à chaque fois.


- POURQUOI FAUT-IL VENIR TE VOIR ?

E. : Je pense que les gens qui viennent voir le spectacle doivent être prêts à vivre une expérience et à être engagés dans l’écoute. Dans cette pièce, il y a quelque chose de captivant, mais il y a aussi quelque chose qui demande de l’écoute, de l’attention et du lâcher-prise. Le spectateur doit être prêt à s’abandonner, à enlever le jugement pour se connecter à ses propres sensations. C’est vraiment de faire vivre une expérience.

On vient découvrir la pièce pour voir de la danse et du cirque fait de façon personnelle et j’espère différente de ce qu’on voit habituellement.


Pour finir l’entrevue, j’ai voulu m’éloigner un peu des pourquoi et demander à l’artiste sa définition du mot cirque. Sans le savoir, Emile Pineault me livrait mes paroles de conclusion. Son dramaturge, Sebastian Kann, définit le cirque comme une « manière inhabituelle d’un corps pour interagir avec son environnement matériel ». Or, pour Emile Pineault, cette définition peut s’appliquer tant au cirque qu’à la danse et c’est dans cette optique qu’il crée. Non pas au cœur d’une discipline à proprement parler, mais bien au sein du mouvement même et du corps. « Je n’aime pas trop enfermer les trucs dans des cases. C’est pour ça que je n’ai pas envie de nommer Normal Desires cirque ou danse. Je n’ai pas envie de les distinguer ! » s’exprime l’artiste. Une bien belle réflexion sur l’art qui conclut ainsi mon entrevue avec ce très cher Émile.



NORMAL DESIRES Création & Interprétation : Emile Pineault Une production et présentation Danse-Cité 22. 23. 24 + 27. 28. 29. 30 novembre + 1er décembre 2018 - 20 h La Chapelle Scènes Contemporaines Billets

 

À propos de l'auteur : Léa Villalba

Léa Villalba

De sang espagnol et originaire du sud des Landes, c’est à l’été 2015 que Léa arrive à Montréal, ville captivante par son dynamisme et sa richesse culturelle. Diplômée en France dans plusieurs domaines dont la Science Politique, la Sociologie et les Arts du spectacle et danseuse depuis la plus tendre enfance, c’est à l’automne 2016 qu’elle intègre la Maitrise en Danse à l’UQAM au sein de laquelle elle entame une recherche sur la danse hip-hop à Montréal. Passionnée d’écriture depuis toujours, elle collabore depuis l'hiver 2017 à divers magazines web (Artichaut, l'Outarde Libérée, La Bible Urbaine, Sors-tu.ca, Les Méconnus) afin d’apporter davantage de visibilité à la danse et d’aiguiser son œil critique.

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